Si l’Histoire ne sert jamais deux fois le même plat, il lui arrive parfois de sérieusement bégayer. Ainsi, en 1954, c’est l’Assemblée nationale française qui, sur un vote de procédure et par la conjonction des voix gaullistes, communistes et d’une fraction socialiste, avait enterré le projet de traité créant la Communauté Européenne de Défense (CED).
Et, en 2005, c’est le peuple français –en voulant légitimement sanctionner le gouvernement
réactionnaire de Jean-Pierre Raffarin– a, de nouveau, repoussé l’union politique. Du premier échec, une parenthèse économique, douanière, monétaire et marchande s’est ouverte dans la construction de l’Europe. Avec le Traité constituant, on pouvait penser pouvoir enfin la refermer. Il n’en a rien été. Et, en réalité, après le second échec enregistré dans les urnes le 29 mai et le 1er juin, plus personne ne s’aventure à pronostiquer quand est-ce que cette parenthèse prendra fin.
L’erreur serait de croire qu’un coup d’arrêt a été donné au libéralisme. Le « non » n’a rien arrêté, bien au contraire. Sous l’empire du Traité de Nice, les marchés continuent de casser les systèmes sociaux, les délocalisations continuent de vider de leurs emplois les territoires industrieux, la spéculation et le dumping tous azimuts ne se sont jamais aussi bien portés.
Candide, en croyant bien agir en votant contre le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, s’est fait dupé et s’est embarqué bien malgré lui dans un périple sans lendemain et au voisinage nauséabond.
Visiblement la mise en garde n’a servi à rien. Et pourtant, elle conserve toute sa pertinence : il n’y a pas de renégociation au bout du chemin. Tout simplement parce que l’Union européenne n’est pas un Etat et que le texte n’est pas une Constitution mais un Traité. Or, les traités s’adoptent et se modifient à l’unanimité. Et, il n’y a aucun autre Etat dans l’Union européenne pour soutenir l’interprétation d’un « non de gauche ». Pire, la seule interprétation retenue est celle du « nee » néerlandais qui a suivi. À savoir un non xénophobe, eurosceptique et radin. Car, dans l’affaire, Candide s’est enrôlé comme supplétif dans la vaste armée national-populiste qui a pris le contrôle de l’opinion publique européenne. Sûr de ses principes et de ses convictions généreuses, il a accepté de mêler sa voix aux millions d’autres qui suggèrent la haine de l’étranger, qui susurrent l’air du « tous pourris », qui insinuent la déconnection du « pays légal » et du « pays réel ». Ces voix là ont un nom, une histoire et une figure. Elles s’appellent le national-populisme, ont pour incarnation le visage sardonique de Charles Maurras et elles viennent, à peu de choses près, d’aussi loin que le socialisme mais lui sont totalement étrangères.
Plus grave, à la base du nouveau combat de Candide, il y a la croyance sincère mais erronée qu’il est possible de vivre cloisonné, à l’abri du gros temps et des fureurs du monde. Ce monde s’appelle autarcie et a connu deux patries : l’Albanie d’Enver Hodja et la Corée du nord de Kim Jong Il. L’une a sombré récemment dans les poubelles de l’Histoire et l’autre est, comme tout le monde s’accorde à le reconnaître, le « Paradis des travailleurs ».
Alors, que faire ? Dans un premier temps en Europe, aller jusqu’au bout du processus de ratification. Il serait, en effet, parfaitement incompréhensible que les autres peuples d’Europe ne puissent pas s’exprimer, eux aussi et selon leurs règles constitutionnelles propres, sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, au prétexte que Français et Néerlandais ont voté.
Pour les socialistes, l’étendard européen restant consubstantiel à l’idée de Progrès, c’est au sein du PSE en discussion avec les autres socialistes du continent, que nous trouverons une réponse collective qui convienne à tous.
En France ensuite, il nous faut poursuivre le combat pour l’union politique et sociale mais aussi pointer l’erreur du « non de gauche » et son forfait. Il est important que les Français, et en particulier ceux qui ont le cœur à gauche, identifient la crise européenne et la régression sociale et économique qui lui sont
corollaires, à leur vote majoritaire. Cette étape est primordiale car la construction future ne pourra se faire sur un déni. Plus loin, c’est tout un projet qu’il faut imaginer, débattre, amender et proposer. C’est une architecture, belle et engageante de la Gauche, qu’il faut structurer.
Tout cela demande de gros efforts. Tout cela nécessite de la clarté. Tout cela requiert de la
détermination.
Aleksander GLOGOWSKI